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La réaffectation, c’est bien plus que donner une nouvelle fonction

15 avril 2021

Un interview avec Alex Demeyere, architecte en restauration


Depuis les années ‘90, le terme ‘réaffectation’ est de plus en plus en vogue. Après la pensée progressiste d’après-guerre ayant attisé la pression afin de démolir les bâtiments désaffectés et les remplacer par du neuf, la réflexion a changé. Le fil conducteur était le suivant: "la réaffectation consiste à réutiliser un bâtiment en lui donnant une nouvelle fonction." 


Par Jan Hoffman


Toutefois, il n'est pas si facile de résumer en une seule phrase la manière dont cette définition doit être appliquée aux bâtiments publics. Nous avons cherché à savoir ce que cela signifiait de nos jours à travers une entrevue avec un homme considéré comme faisant autorité en Belgique dans le domaine de la restauration: l'architecte courtraisien Alex Demeyere.

 


Architecte Alex Demeyere © Lieven Gouwy

 

Alex Demeyere se consacre à la restauration de divers types d’édifices, parmi lesquels un nombre remarquablement élevé d'églises. Il œuvre ici principalement pour le compte des fabriques d’église, des services publics et des CPAS.

 

"Penchons-nous d’abord sur l’évolution du principe de la restauration au fil des ans. De par le passé, le patrimoine classé était traité de manière plutôt statique, en privilégiant la ‘réparation artistique’ tout en conservant la fonction. Aujourd'hui, les gens se rendent compte que la réaffectation s’avère nécessaire en raison des évolutions actuelles de la société, mais aussi qu'il faut lui donner une place plus centrale afin d’allonger la durée de vie du bâtiment, et donner à celui-ci l'avenir durable approprié. Sur la base de mon expérience, on se concentre trop sur l'aspect énergétique des bâtiments et sur l’application de gadgets techniques temporaires. J'ai moi-même suivi une formation complémentaire en construction durable pour élargir ma vision dans ce domaine."

 

Nouvelle affectation, nouvel usage

L'architecte explique comment, de par le passé, on se focalisait plutôt sur la restauration et la résolution d’un ou plusieurs problèmes. On voulait cependant de plus en plus donner une nouvelle affectation aux bâtiments et les adapter à un nouvel usage. Cela inclut notamment la portance au sens figuré du bâtiment. Les églises en sont un bon exemple. Celles-ci ont perdu (une grande partie de) leur fonction et il convient dès lors de réfléchir à ce que vous pouvez en faire.

 

"En réaffectation, il faut surtout réfléchir au type d'interventions que l'on souhaite pour une nouvelle fonction. L'architecture du bâtiment doit ici être prioritaire, la qualité intrinsèque du bâtiment d’origine est ici primordiale. Prenons l'exemple d'une église: pendant des centaines d'années, ce bâtiment n'a connu qu'une seule affectation, mais aujourd'hui, nous prétendons pouvoir tout y intégrer. Il faut ici être très prudent: d'autres générations voudront peut-être lui donner des affectations futures très différentes de celles que nous lui donnons aujourd’hui."

 

"Et en fait, de nos jours (en 2021), cela devrait aussi constituer la préoccupation centrale en nouvelle construction. Car une fois qu'un bâtiment a été construit, il sera souvent beaucoup plus difficile de l'adapter, même si l'on sait que, tôt ou tard, il y aura un changement d'utilisation. Dans ce contexte, on peut également établir un lien avec la réflexion sur la ‘construction circulaire’, aujourd’hui si populaire.  On veut principalement se concentrer sur la possibilité de démonter et de remplacer, mais en réalité, mieux vaut dire: construisez de manière qualitative avec des matériaux de qualité, afin de donner à votre bâtiment une durée de vie beaucoup plus longue, et prévoyez un concept bien pensé. Ce concept sera alors suffisamment intelligent intrinsèquement pour être facilement adapté par la suite."

 


Architecte Alex Demeyere © Lieven Gouwy


Investir davantage dans l'enveloppe du bâtiment

Jusqu'où peut-on aller en réaffectation? Installer un supermarché dans une église, c’est permis ou est-ce précisément aller trop loin?

 

"Chaque cas est différent. Dans le cas d'une église, la vocation religieuse peut avoir disparu depuis des années et, même pour le diocèse, ce qui reste n'est plus qu'un ouvrage de construction. Dans de tels cas, vous pouvez aller très loin et oublier purement et simplement la fonction d'origine. Il va cependant de soi que les fonctions socioculturelles constitueront la nouvelle affectation la plus appropriée. La communauté du passé bénéficiera ainsi d’un point d’attache clair dans le présent."

 

"En principe, très peu de réaffectations me posent problème, pas même une réaffectation en un supermarché. Il doit toutefois y avoir une condition impérative: si vous insistez sur une affectation particulière, celle-ci doit être irréversible ou bien elle doit impliquer des interventions ou des ajouts qui laisseront la possibilité de donner d'autres fonctions au bâtiment à l'avenir. ”

 

Église avec bibliothèque et nouvelle construction

"Comme bel exemple de réaffectation, on peut citer la bibliothèque que j'ai réalisée dans une église de Wielsbeek, alors que la fonction de l'église a été intégralement conservée. J'ai fait réaliser un nouvel entresol pour installer la bibliothèque, mais ai intégré toutes les autres fonctions, comme le service administratif, les sanitaires, la cuisine, etc., dans une nouvelle construction distincte. Et nous avons ici aussi déjà pensé à plus tard, car une bibliothèque peut également perdre sa fonction. L'ajout de l’entresol dans l'église crée tout simplement de la surface supplémentaire tandis que, pour la nouvelle construction, la structure architecturale repose en son centre sur quatre colonnes, permettant ainsi de retirer tous les autres murs intérieurs et d’aller dans n'importe quelle direction par la suite."

 

"Ce projet a également été conçu de manière à permettre une double utilisation. L'église peut simultanément utiliser la nouvelle construction pour des réunions, des réceptions, etc. Inversement, la bibliothèque peut inviter un conférencier pour des groupes plus importants qui prendront place dans l'église. L'ensemble est même ouvert à une utilisation partielle par des tiers, avec un contrôle d'accès digital séparé."

 

 

 
L’église Saint-Laurent à Wielsbeek (BE) restructurée partiellement en tant que bibliothèque. A l’avenir, le bâtiment peut encore servir tant d’autres buts.
© SCHULZ

 

La connaissance du passé

Lorsque nous demandons à Alex Demeyere de résumer quelque peu, il finit inévitablement par parler de l'importance de la connaissance du passé et de la manière dont on peut en tirer profit aujourd'hui. En tant qu'architecte en restauration, vous avez intérêt à être un homme de métier, disposant du ‘bagage’ nécessaire.

 

"Ce que nous faisons principalement de nos jours, c'est réparer des restaurations antérieures qui ont causé beaucoup de dégâts. Durant la période qui a suivi la Seconde Guerre Mondiale ont fait leur apparition de nombreux nouveaux matériaux et techniques et l’on pensait pouvoir réparer les bâtiments anciens avec des matériaux nouveaux. Nous savons maintenant que cela ne marche pas."

 

"L'utilisation de chaux au lieu de ciment en constitue un bon exemple. Un mur massif plein s’érige idéalement avec de la chaux, et non avec le ciment d'aujourd'hui qui absorbe les tensions d'une manière différente et qui ne permet pas de transporter l'eau. Pourtant, le ciment est massivement utilisé pour sa vitesse d'exécution beaucoup plus rapide."

 

"Ce que je veux dire, c'est que si l'on veut vraiment rénover ou restaurer de manière durable, il faut se pencher sur les techniques de construction préalablement utilisées et ne pas forcément les rejeter. L'approche des nouveaux bureaux de l’intercommunale Leiedal dans les environs forme ici un exemple inspirant. On a cherché à utiliser le moins de techniques possible dans la nouvelle construction et on a à nouveau eu recours à des murs massifs pour emmagasiner la chaleur et le froid. Cela illustre comment il est possible de remettre en question la manière ‘moderne’ de construire pour ainsi arriver à de nouvelles questions et solutions: faut-il investir beaucoup d'argent dans des techniques de climatisation ou, au contraire, comme de par le passé, laisser l'enveloppe du bâtiment résoudre le problème en grande partie elle-même? Poser la question, c’est y répondre à moitié..."

 

    

                                 

Les Broeltorens (Courtrai, BE), les icônes du patrimoine architectural de la grande région de Courtrai ont été restaurées sous la direction des architectes courtraisiens Jozef et Alex Demeyere.
© Alex Demeyere

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