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Xavier De Kestelier, architecte interplanétaire “La véritable réponse, c’est le design, pas la technologie”

8 septembre 2022

Avant de le rencontrer, je dois avouer à ma grande honte que je n’avais jamais entendu parler de Xavier De Kestelier. Alors que je cherchais un(e) architecte avec une approche la plus axée sur l’avenir et la plus durable possible, l’inspiration est venue par la nouvelle initiative LifeCycles. Celle-ci se tient du 28 au 30 septembre sur le site Vynckier, une zone industrielle qui constitue en quelque sorte la jonction entre la ville de Gand et le port.

 

par Jan Hoffman

 


L’architecte interplanétaire Xavier De Kestelier. Hassell ne peut pas encore dévoiler de photo du projet lunaire, nous en découvrons ici quelque croquis

 

LifeCycles se présente comme un festival dédié à l’inspiration et l'innovation, centré sur l’architecture, les projets et l’urbanisme. Dans un programme de plus de 40 ‘innovateurs et experts avec une vision à long terme’, il devait bien en avoir un(e) qui sortait du lot, me suis-je dit.

 

S’ils étaient nombreux à se distinguer... il y en avait un qui intriguait plus que les autres. Un Gantois, ingénieur civil – architecte diplômé de la RU Gent, qui vit et travaille à Londres depuis 22 ans et qui occupe actuellement la fonction de ‘chef du département technologie de conception et innovation dans toutes les disciplines et régions’ du célèbre cabinet de design international Hassell… Pas mal comme entrée en matière. Ce qui a achevé de me convaincre ? Ses antécédents en tant que co-responsable de l’équipe de recherche et développement interne de Foster+Partner et… sa participation à la conception d’habitats sur Mars.

 

Lorsque nous le contactons par appel vidéo à son bureau de Londres, nous sommes bien loin de l’archétype de l’ingénieur sérieux. Nous avons face à nous un homme jovial, qui s’exprime dans un néerlandais où l'on entend parfois poindre une touche d’accent gantois, relevé ici et là d’une tournure à l’anglaise. Rien ne laisse présager les montagnes russes d’expériences uniques que nous réserve cette interview.

 

Un Flamand à Londres


L’entrée en matière s’imposait d’elle-même : comment un Flamand s’est-il retrouvé chez Hassel à Londres ?

 

Xavier De Kestelier : “Cela faisait un moment que j’avais envie d’aller à l’étranger et je suis parti à Londres. S’en est suivi un master à la Bartlett et comme je me plaisais vraiment à Londres, j’ai décidé d’y chercher un job. Cela ne m’a pas réussi. J’avais fait 7 ans d’études et j’étais refusé par tous les bureaux d’architecture pour manque d’expérience. Au début, je ne comprenais pas pourquoi mais je me suis vite rendu compte que je ne me battais pas à armes égales. Au Royaume-Uni, vous étudiez normalement 3 ans, puis vous travaillez 1 an ou 2 en tant que stagiaire, et ensuite vous étudiez encore 2 ans. Ils avaient donc de l’expérience, pas moi.”

 

“Juste au moment où je me demandais si je n’allais pas me reconvertir en livreur de pizzas, j’ai eu un coup de pouce du hasard. J’avais fait la connaissance d’un Belge qui venait de commencer chez Foster + Partner et il a déposé mon CV au bon endroit, je lui en serai éternellement reconnaissant. J’y ai travaillé 17 ans. Il y a 5 ans, je suis passé chez Hassell, une société internationale moins connue, où je pouvais jouer un plus grand rôle.”

 

Dans nos newsletters, nous nous efforçons toujours de trouver des architectes tournés vers l’avenir, avec une vision. En lisant la description de votre fonction, je me serais plutôt attendu à un informaticien. J’ai du mal à concilier ça avec la conception d’habitats sur Mars. Pouvez-vous développer un peu ?

 

“Dans les grands bureaux, il arrive souvent que la conception digitale soit gérée par quelqu’un avec une formation en informatique. Ce sont des gens qui n’ont rien à voir avec le design et qui s’occupent principalement de technologie. C’est justement pour cette raison que Hassell m’a contacté. Ils recherchaient au niveau exécutif une personne avec une formation de design pour leur département technologie, et je correspondais parfaitement parce que la création a toujours été ce que je préfère.”

 

Regard ultra critique sur la technologie


Pour mieux comprendre, arrêtons-nous sur une citation de la conférence de Xavier pendant LifeCycles :  ‘On présente souvent la technologie comme la solution, mais je pense que la véritable réponse, c’est le design. La technologie est là pour rendre les choses possibles et les appuyer.’

 

“C’est une définition que j’aime bien en effet. Je vois souvent les gens se précipiter sur les dernières technologies, avant même qu’elles aient fait leurs preuves. Moi je me demande toujours : quel en est l’avantage réel ? Est-ce plus rapide, moins cher, plus efficace pour la conception... Bref, j’ai un regard ultra critique sur les nouvelles technologies mais quand je suis convaincu, j’y vais sans retenue. En 2004, par exemple, j’ai acheté une imprimante 3D pour le bureau de Foster + Partner, nous étions alors le deuxième bureau au monde à en avoir une. Pourquoi ? C’était clairement une technologie qui allait nous aider à progresser à pas de géant.”

 

“Un exemple du contraire d’utile en ce moment, c’est la réalité virtuelle. Je vois ça comme une passade. Le hardware n’est pas encore à niveau, cela reste une expérience ‘isolée’. Une seule personne avec cette espèce de masque de plongée géant sur la tête... Ça ne rime à rien, ce genre de chose doit pouvoir être utilisées par une multitude de personnes. Pour l’instant, je m’intéresse beaucoup plus à la réalité augmentée. Vous avez aussi quelque chose sur la tête mais vous pouvez regarder à travers, une maquette virtuelle sur une table par exemple. Bien plus intéressant.”

 

Habitats sur Mars, sur la lune et en orbite basse


Voilà une belle transition vers les habitats sur Mars, que Xavier et son équipe ont développé pour Hassell. Comment ancrer ça dans la réalité ? Les sources semblent un peu en retard sur la réalité. Actuellement, Xavier et co s’occupent non seulement de Mars mais ils développent aussi des bases lunaires et des stations en orbite terrestre basse. À la demande, entre autres, de la NASA et de l’ESA.

 


Sur Mars aussi, on recommande des volumes arrondis pour résister à la pression

 

“Pour beaucoup, ces projets tiennent de la science-fiction mais ils sont bien réels. En nous appuyant sur la technologie existante, nous développons un concept visionnaire avec de nombreuses possibilités. Nos solutions ne sont pas impossibles à long terme.”

 

‘Si c’est pour demain ? Non, évidemment, mais peut-être d’ici 10 à 20 ans ou même avant. L’année dernière, nous avons travaillé sur un concept de stations spatiales ‘en orbite terrestre basse’. Les stations que nous avons actuellement, comme l’ISS, sont vieillissantes et doivent être mises au rebut entre 2028 et 2030. La NASA a accordé des subsides à 3 ou 4 entreprises pour développer des stations spatiales commerciales. Après les tests, ces stations orbitales basses ne seront pas dirigées par la NASA. D’autres s’en chargeront, avec leurs propres astronautes. Nous concevons actuellement de nouvelles stations spatiales et elles pourraient déjà être prêtes d’ici 5 ans, qui sait ?”

 


Pour l’aménagement intérieur, il y a beaucoup de choses à penser. Comment répartir l’espace privé et public ? Comment se fait l’organisation à l’intérieur ? Tout le monde a-t-il le même espace ? Etc…

 

“Les concepts sur Mars sont une réaction au célèbre projet d’Elon Musk, qui imagine 1 million de personnes vivant sur Mars d’ici 100 ans. Je ne le suis pas sur ce plan, mais je pense que des choses vont bientôt se mettre en place sur Mars. D’après moi, Mars est plutôt comparable à l'Antarctique, avec ses nombreuses stations qui hébergent des scientifiques quelques mois mais où personne ne s’installe. Nous avons conçu des bases martiennes où des gens vivront de manière temporaire.”

 

Base pour 144 habitants


“Notre projet le plus fascinant est peut-être bien notre projet lunaire. Nous travaillons à la demande de l’ESA sur des volumes habitables. Ce qui est top, c’est que j’agis avant tout en tant qu’architecte mais en restant dans les limites des restrictions imposées par toutes sortes de paramètres et de facteurs environnementaux. Sur la lune, il faut par exemple des volumes arrondis pour compenser la pression. Le matériau doit en outre être très léger, chaque kilo à faire décoller coûte en effet une fortune. Et il faut une protection contre les rayons gamma.”

 

“Nous sommes occupés à dessiner une base lunaire permettant d’accueillir 144 personnes. Outre les restrictions techniques, il y a énormément de facteurs à prendre en compte. Comme : quels sont les espaces publics ou non ? Et qu’est-ce qui est entre les deux ? Combien d’espace attribuer à chaque personne, est-ce que chacun a le même appartement et comment se passe l’organisation ? Les habitants mangent-ils ensemble ou non ? Et où prévoir de l’espace de stockage ? Ce dernier point nous paraît tout particulièrement important, quand on voit le désordre actuellement sur l’ISS. Nous recherchons des systèmes avec des espaces plus simples, plus faciles à aménager et ranger.”

 

Conférence LifeCycles


Nous terminerons par un mot sur la conférence de Xavier (le 30 septembre) lors de LifeCycles. Que pouvons-nous attendre exactement ? Là aussi, il semble qu’il y ait bien plus au programme que les projets dans l’espace. Au moment où vous lisez ces lignes, l’homme entame notamment la construction d’un centre musical très spécial dans un camp de réfugiés regroupant 250.000 personnes au milieu de nulle part dans le nord de l’Ouganda. Ce centre musical à Bidi Bidi, où il n’y a ni électricité ni eau courante, ne s’avère pas si différent de la lune en définitive.

 


La construction d’un centre musical va débuter en octobre dans un camp de réfugiés à Bidi Bidi, dans le nord de l’Ouganda

 

“Je parlerai de nos projets dans l’espace, bien sûr, mais aussi de ce projet à Bidi Bidi, dans le cadre duquel nous construisons un centre musical pour une fondation. Il abritera des salles de classe, un studio d’enregistrement, des scènes pour les représentations, etc. La construction débute en octobre et est prévue pour une population correspondant environ à celle de Gand. Des gens qui n’ont absolument rien pour l’instant.”

 

“Il y a énormément de similitudes avec la base spatiale sur la lune. Ici aussi, nous sommes face à des conditions extrêmes et nous devons bien réfléchir à l’utilisation du moindre kilo de matériel et à la gestion de l’énergie. Nous devons privilégier au maximum les matériaux locaux. Par exemple, des briques en terre rouge pressées (pas cuites) sur place, ce qu'on appelle des ‘briques de terre solidifiée’.”

 


Tout comme pour les projets sur Mars et sur la lune, il y a de nombreux facteurs à considérer : quel matériau utiliser et en quelle quantité, comment garantir un maximum d’autonomie, comment pallier à l’absence d’eau courante et d’électricité...

 

“Cette manière de penser est très comparable à ce qu'on fait pour la lune ou Mars. Sur la lune, nous recyclons chaque gramme d’emballage plastique alimentaire des astronautes pour fabriquer autre chose. Ce sera pareil en Ouganda, où la durabilité est essentielle. En raison de la déforestation, nous n’utilisons pas de bois, nous utilisons de l’acier léger en nous limitant au strict minimum et nous construisons un grand collecteur d’eau de pluie car il n’y a pas d’eau potable au robinet.”

 

https://www.hassellstudio.com/

LifeCycles : https://stretchtwenty4.com/

 

Toutes les images © Hassell

 

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Répondez à la question et envoyez votre réponse à: newsletterbenelux@architectatwork.com.

 

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