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Mario Botta - La vision d'un grand maître

12 octobre 2023

Les visiteurs de la toute dernière édition d'Architect@Work Courtrai ont découvert un hommage à l'un des grands architectes de la décennie passée : Mario Botta, un architecte suisse né dans le canton italophone du Tessin en 1943. Avec Aurelio Galfetti, Luigi Snozzi et Livio Vacchini, il fait partie de l'« École tessinoise » et a apposé son sceau de professionnel multitâches sur le paysage architectural.

 

Nous sommes allés rencontrer Mario Botta et avons principalement évoqué son approche des questions d'environnement et de durabilité, ainsi que leur influence inéluctable sur le monde de l'architecture. Les processus, les technologies et surtout les nouvelles façons d'aborder le design architectural contemporain suscitent de nombreuses questions dans un contexte en constante évolution.

 

Qui est vraiment Mario Botta ? Le fil rouge de son travail semble être le même que celui des plus grands, avec des parcours professionnels dominés par la créativité, des connaissances approfondies et une impressionnante polyvalence des compétences. Mais où puisent-ils leur inspiration ? Qu'est-ce qui les guide ? Et comment concrétisent-ils leur vision ? Nous avons décidé d'interviewer plusieurs des protagonistes de la scène contemporaine sur ce sujet dans le but d'initier la réflexion et de recueillir des conseils utiles pour l'avenir.

 

Dans votre travail, vous avez toujours considéré comme essentiel le lien avec le territoire, avec l'habitat, dans lequel chaque nouvel artéfact doit s'intégrer pour établir une véritable relation. C'est une façon de travailler qui apparaît clairement dans le développement d'une ‘dimension anthropologique’ de l'œuvre architecturale, toujours présente dans les phases successives de développement et de réalisation des projets. Que pensez-vous des transformations de l'architecture aujourd'hui par rapport aux nouvelles exigences environnementales, et quelles devraient être, selon vous, la tâche et l'attitude du concepteur ?

 

Mario Botta : « Je trouve que le monde de l'architecture traverse actuellement une période assez confuse, sans clarté. La vitesse brouille les idées, la rapidité des transformations rend tout un peu opaque. J'essaye moi aussi de comprendre la direction que nous prenons et celle que nous devrions prendre. L'architecture est une discipline solide et concrète qui a cependant un besoin d'une grande clarté. Depuis Léon Battista Alberti, chaque phase historique, chaque état critique que l'architecture a pu exprimer, a dû composer avec la confusion de son époque. »

 

 


Le bâtiment Fiore di Pietra (littéralement « fleur de pierre ») à Monte Generoso, Suisse (2013-2017). Photos © Enrico Cano

 

« L'architecture est quelque chose de bien défini et d'immuable. Elle n'admet aucune erreur, vis-à-vis de la culture, et s'en fait au contraire le miroir. L'architecture peut être impitoyable, mais elle reste cependant toujours liée aux valeurs exprimées dans une période historique donnée.

 

En ces années post-pandémiques, en pleine période de changement climatique, nous réalisons qu'au siècle passé, pleins d'enthousiasme, nous nous sommes précipités vers une modernité en fait déjà dépassée. Au lieu de cela, nous nous retrouvons aujourd'hui au pied de l'échelle. Je vois beaucoup de zones d'ombre, non seulement sur le plan de l'architecture, mais aussi concernant le mode de vie de la nouvelle génération. Nous avons fait ce que nous pouvions pour profiter de la dynamique de la société de consommation, que nous avons bien sûr critiquée mais qui fut en même temps pour nous une véritable force motrice. Il est difficile de concevoir ce que devrait être l'attitude des designers d'aujourd'hui et de demain. Ce qui est certain est que nous vivons actuellement une période dans laquelle la plus grande prudence est de mise, en particulier face aux catastrophes qui se déroulent sous nos yeux : la catastrophe nucléaire, les catastrophes climatique et environnementale, autant de situations qui ne sont jamais apparues aussi clairement auparavant.

 

Pendant un siècle, nous avons vécu sur un héritage historique d'optimisme qui transpirait de tous les pores de la société. Nous sommes aujourd'hui confrontés à des vérités éthiques dont nous devons tenir compte. Nous devrions donc adopter une attitude qui vise avant tout à essayer de comprendre les raisons profondes des transformations en cours, afin que les nouvelles générations puissent aller de l'avant. À bien des égards, il s'agit-là d'une question dramatique digne d'Hamlet : « Être ou ne pas être ». Je vis surtout cet état d'incertitude dans la discipline que j'utilise pour essayer de filtrer notre vision du monde, notamment à travers les outils de l'architecture. »

 

 


Centre sportif national de la jeunesse, Tenero (4e phase - 2019-2023). Il s'agit de la dernière phase de l'extension du centre sportif, qui a débuté avec la phase 2 (1990-2001) puis s'est poursuivie avec la phase 3 (2006-2013). Photos © Enrico Cano

 

Pendant de nombreuses années, l'importance de la relation entre la nature et l'architecture ainsi que le rôle central de l'individu, ont constamment été soulignés. Un grand nombre des valeurs sous-jacentes à ces équilibres sont aujourd'hui régulièrement remises en question. Quelle stratégie devrions-nous selon vous mettre en œuvre pour les préserver ? Quels écueils, mais aussi quelles opportunités le monde de l'architecture peut-il réserver à la communauté des designers d'aujourd'hui ?

 

Mario Botta : « Quelles opportunités le monde de l'architecture peut-il nous réserver ? Tant que l'être humain existe, il aura toujours besoin d'une forme de logement. L'être humain ne peut pas vivre en pleine nature, comme un animal, il ne peut pas se passer de protection contre les éléments, la chaleur, le froid. L'être humain est une créature extrêmement vulnérable et peu sûre d'elle. Il doit donc se prendre en charge s'il veut survivre. De ce point de vue, l'architecture et la vie humaine sont inextricablement liées l’une à l’autre, l'être humain ne pouvant vivre sans un logement adéquat, construit par lui. Il fut un temps où il suffisait de se protéger des animaux, mais aujourd'hui, il faut se défendre contre les virus et contre la nature, dont les conditions pernicieuses prévalent de plus en plus sur les inoffensives. Savoir gérer l'équilibre écologique est devenu une condition de survie.

 

Le monde de l'architecture doit donc rechercher de nouvelles opportunités, y compris à travers son histoire, la mémoire et les technologies. C'est pour moi la seule façon possible de survivre face aux événements naturels les plus radicaux. D'un autre côté, l'être humain a volontairement et délibérément perturbé l'équilibre naturel et il devient de plus en plus compliqué d’y faire face. Il s'agit d'un combat d'ailleurs plutôt inégal, car la nature a toutes les chances de l'emporter. Aucune construction, aucune pyramide n'est en mesure de soutenir la comparaison. Mais l'idée que l'architecture est une discipline humaniste me rassure : elle porte en elle la connaissance, la culture et la tradition d'un territoire. En tant que designer, je suis convaincu que le territoire de la mémoire est un instrument fondamental pour donner aux humains un espace de vie. »

 

 


Église Saint-Jean-Baptiste, Mogno, Suisse (1986-1996). Photos © Pino Musi

 

Vous nous avez plus d'une fois rappelé que concevoir un petit objet ou un bâtiment entier sont toujours une manière d'exprimer une vision du monde, un désir de le rendre meilleur, plus accueillant, plus propice à la vie et à la joie de vivre. Quels conseils et quelles suggestions pourraient selon vous aider les jeunes générations d'architectes à cette fin à l'avenir ?

 

Mario Botta : « Au cours de mes nombreuses années d'activité, j'ai pu constater combien le thème des lieux de culte est peut-être celui dans lequel le sens du travail de conception s'exprime le mieux. Travailler avec des éléments fondamentaux tels que la pensée et la vie de l'être humain, les motivations et interrogations de son être, c'est pénétrer dans les finalités les plus profondes de l'architecture.

 

Dans l'espace sacré, j'ai trouvé le point de départ de la gravité et de la lumière. Sans lumière, il n'y a pas d'espace et l'architecture ne saurait exister. Le concept de limite, de seuil, constitue un autre élément fondamental d'une construction. J'essaie toujours d'identifier ces concepts et de leur donner du sens, ce qui permet de déterminer les conditions d'équilibre entre l'humain et son environnement.

 

Je pense cependant qu'il est inutile de tomber dans la rhétorique. L'être humain s'est toujours interrogé sur les raisons justifiant de se battre, de travailler et/ou de croire en ses propres actions. Dans ce sens, la contribution des artistes nous est utile. Eux seuls sont vraiment parvenus à exprimer de manière profonde dans leurs œuvres les problématiques de la vie et de la présence humaine sur terre aujourd'hui, ainsi que les angoisses, mais aussi la joie d'accomplir quelque chose, et ce qui nous rend heureux.

 

Je suis persuadé que l'architecture peut puiser dans son expérience et dans sa capacité à se souvenir la force de s'attaquer à de nouveaux défis. Je parlerais même d'une condition spirituelle de l'existence. Nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas nés du néant et nous avons la capacité, contrairement aux animaux peut-être, de trouver des solutions potentielles grâce à notre mémoire historique. »

 


Mario Botta. Photo © Flavia Leuenberger Ceppi

 

Ceci est une traduction éditée par Jan Hoffman d'un article écrit par Enrico Leonardo Fagone

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